Moi c'est Otto.
Ch'uis pas doué pour grand-chose y parait.
Pas la peine de compter sur moi dans l'unité pour être un
tireur. Ch'uis une catastrophe avec une arme en main... C'est les gâchettes, ça
tient pas bien dans mes doigts. J'ai des gros doigts et tout le reste à
l'avenant.
Oh ouais.
Ch'est moi au centre, avec la coiffe..Le photographe m'a demandé de me tasser un peu, pour laisser de la place aux autres...
Y en a qui disent que je fais 7 pieds de haut. Y savent pas
compter.
Mais c'est vrai que c'est pas loin. En fait, je mesure 6 pieds 4 pouces. Ce qui
me fait toujours marrer. Six pieds de qui et 4 pouces de quoi ?
Moi, c'est Otto. Ch'uis pas doué pour grand-chose y parait,
mais ce que je fais, je le fais au mieux.
D'abord, je suis amoureux de deux femmes.
Ouais. Ca c'est un peu ma merde. Y a une femme de la tribu, Ruisseau-Bondissant,
plus ou moins promise d'après ma grand-mère oeil-qui-voit-loin. Elle est
gentille Ruisseau-Bondissant, mais elle a un peu peur que je l'écrase.
Ruisseau-Bondissant, je l'aime pour son sourire, sa gentillesse, sa
compréhension des choses de la vie.
Puis y a Maria-Estella. Elle danse dans des saloons et
parfois plus si affinités. On a des affinités. Elle aime les grands gars et je
l'ai sortie de deux ou trois mauvais pas.
Ensuite, y a la tribu. Pas ensuite. Mais je dis les choses
comme ça, quoi. Ma mère fait partie de la tribu des Arapahos. Ma grand-mère
aussi. Ma mère, elle est morte, j'avais 7 ans. Mais ça, ça arrive... Elle est
tombée.
Ma grand-mère, elle est allée voir Hans, le frère de Klaus,
mon père. Elle a dit qu'il était temps que je sois aussi éduqué par l'homme
blanc. C'est vrai que j'ai plus la gueule d'un homme blanc que d'un indien. De
loin, et même de près, on voit que je suis métis qu'à la couleur de la peau, un
peu café au lait. Y a des mecs de la méditerranée qui sont plus foncés que moi.
Hans, c'est mon oncle. Il a été aumonier dans l'armée. Si.
Il m'a appris la foi des blancs. C'est dur de choisir. Je suis un gars fidèle.
J'aime bien les deux foi que j'ai. Mais je suis pas un spécialiste dans les
affaires de Dieu ou des esprits. Je tente de faire au mieux dans la vie de tous
les jours. Les gars de mon unité, ouais, je fais partie de la cavalerie
maintenant, c'est mon oncle qui m'a fait rentrer, y disent que je suis loyal et
courageux. Que j'ai peur de rien. Non, c'est pas que j'ai pas peur. C'est que
je sais que les esprits veillent sur ceux qui ont le coeur pur.
Je dis pas que j'ai le coeur totalement pur. Des fois je me
bagarre et j'aime deux femmes. Mais j'ai pas d'ennemis, je bois pas comme ceux
des réserves, enfermés.
Puis aussi, j'essaie de tempérer. C'est facile quand on est
grand. Mais pas toujours.
Rha. Je sais pas causer comme il faut.
Bon... Moi c'est Otto, donc...
Je sais pas faire grand-chose, mais ce que je sais faire, je le fais.
Je sais bien parler les langues. C'est pour ça que j'ai été pris aussi assez
facilement dans l'armée du Sud. Oui. Ca me vient facilement. Au départ, j'ai
servi avec mon père, dans le rail, pour parler avec les indiens ou les immigrés
espagnols ou allemands. Des langues que j'ai vite apprises. J'aimerais bien
apprendre le chinois. Ils m'amusent les chinois. Mais la guerre est venue. Pas
le temps.
J'ai 27 ans. Je devrais être marié. Mais la guerre...
Et puis les deux femmes que j'aime en ont à peine 17 pour la première ou 19
pour la seconde (enfin c'est ce que dit Maria, on est jamais sûr avec elle).
Je sais aussi me bagarrer.
Et puis causer.
C'est à peu près tout.
Je ne suis pas un pisteur, je ne suis pas un tireur - croyez-moi, vaut mieux
pas que je sorte le shotgun je fais des trous souvent là où il ne faut pas...,
je ne suis pas le mec spécialiste de la reconnaissance, je ne sais pas faire la
cuisine...
Mais on peut compter sur moi.
Ah oui. Je suis fidèle. Vous pouvez vraiment compter sur moi
dans la compagnie. Mon père, mon oncle, ma grand-mère, ma tribu, les deux
femmes que j'aime, peuvent aussi.
Ma grand-mère, elle m'a dit qu'elle aurait bien aimé que je
parle plus souvent avec les esprits, que je suive la voie du shaman. Ouais,
mais les esprits ils m'ont donné le don de savoir parler avec les gens, de vite
comprendre comment ils causent. Et comme le grand manitou est partout,
peut-être que je sers tous les esprits qui sont en dessous de lui en apprenant
le langage des hommes.
Un langage pas toujours facile.
Y a cette guerre.
J'ai pas vraiment compris pourquoi ça a commencé. Le Nord y disent que c'est
pour abolir l'esclavage. Bon, c'est vrai, moi, j'aime pas ça l'esclavage ou la
manière dont l'homme blanc il a traité les autres races. Mais en même temps,
j'ai vu des plantations, y mangent au moins à leur faim, y crèvent pas comme
nous, parfois, dans les tribus, y z'ont même leur culture à eux qu'ils gardent.
Et puis, faut dire qu'on m'a expliqué un autre truc : c'est
économique.
Y a des familles, qui sont puissantes, tu vois, qui veulent
ce qu'on a.
Ben tiens.
Alors y a la famille de mon père. Et moi, je suis loyal. Mon
père, en plus, il a fait pour la civilisation avec le chemin de fer dans lequel
il travaille.
Et y en a qui voudraient lui voler ses contrats.
Et puis la guerre, la guerre... putain.
Au bout d'un moment, tu sais...
Tu sais qu'il n'y a plus de gentils et de méchants. Il n'y a
que la peur de crever, là, qui te prend aux tripes.
Des fois, je me dis qu'avoir la foi pourrait aider.
Des fois.
Mais même les hommes de dieu, y meurent comme nous.
Je hais pas ceux d'en face comme d'autres dans ma compagnie.
En fait, je hais personne à part les cons. Et quand je dis cons, je parle de
ceux qui regardent que la façade.
L'avantage quand tu as deux sangs dans les veines et que t'as oublié d'être
con, et que tu as eu des gens qui t'ont élevé en te permettant de l'oublier,
c'est que tu sais que tous les hommes sont les mêmes... Ils pissent rouge et
crèvent tous pareil.
La seule différence, y parait, c'est là où ils vont après.
Moi je crois aux grandes plaines et je veux bien que le dieu
de l'homme blanc soit notre grand manitou.
Mais je ne saurai que quand j'y serai.
Et je suis pas pressé.
Putain de guerre, j'ai vu trop de monde crever. Trop.
Ah si. Une dernière chose. Comme je suis grand et massif, y
a des gens qui pensent parfois facilement que je suis con ou que je pourrais
être une brute sanguinaire.
C'est bien qu'ils le pensent.
On est toujours victime de son jugement à l'emporte-pièces.
On est toujours le con de quelqu'un.
Une bonne bagarre, à la loyale, de temps en temps, ça
défoule. Je préfère les poings. Tu tues pas avec, tu apprends le respect, et tu
bois le verre de l'amitié après.
Et puis sans déconner, Colt a rendu tous les hommes égaux.
Dans le temps, je dis pas. J'aurais peut-être été un monstre qui profite de sa
taille.
Mais non.
A la guerre, les petits et les gros tas, ils meurent pareil.
Les balles ne font pas la différence. Les maladies aussi que tu te choppes.
Pareil.
Putain de guerre... Y a un truc que j'aime pas dedans, c'est
quand t'as faim.
J'aime pas ne pas avoir à manger.
Y a rien de pire, avec la guerre.
J'ai envie d'un godet... de monter sur Connor, mon gros
cheval, et d'aller regarder la lune, pleine...
La lune pleine comme les fesses de Maria-Estella, comme le
sourire de Ruisseau-Bondissant, comme les yeux de Oeil-qui-voit-loin.
J'ai envie de regarder la lune et de demander à ma mère si ce qu'elle aurait
voulu pour son fils.
J'ai envie de demander à mon père s'il n'est pas trop triste d'avoir perdu sa
femme et son autre fils avant qu'il ne m'ait récupérer. J'ai jamais su le nom
du demi-frère que j'aurais dû avoir.
J'ai envie.
J'ai des envies à la con. Je traîne trop avec les femmes... Parfois, je me dis
que j'ai un coeur de femme. Mais pas longtemps.
Parce qu'il y a la guerre.
Putain de guerre.
Et tous ces cadavres baignant sous la lumière de la lune.
Où est-ce qu'ils vont, putain ?
Où ?
Une prochaine fois, je parlerai de mes copains dans
la compagnie.
Parce que faut pas croire. En ce moment, ils sont tout. Tout ce que j'ai.
Putain de guerre.
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